La licence globale de retour en grâce ?

Remis mercredi dernier, le rapport parlementaire de la mission d’information sur les conditions d’emploi dans les métiers artistiques évoque explicitement la licence globale comme une réponse au problème de la rémunération des créateurs, et de l’adaptation du droit d’auteur aux réalités du numérique.

Les acteurs de l’industrie culturelle qui espèrent conserver le contrôle sur la distribution des oeuvres pourront-ils longtemps refuser la proposition de rémunération offerte par la licence globale, qui légaliserait les échanges d’oeuvres sur Internet en contrepartie d’une taxe payée par les FAI et autres acteurs de la chaîne numérique ?

Il y a déjà plus de sept ans, le 21 décembre 2005, à la veille des fêtes de Noël, les députés socialistes avaient réalisé un coup d’éclat en votant un amendement à la loi DADVSI qui légalisait le téléchargement en P2P, et préparait le terrain à la licence globale. Ceux qui ont avaient suivi les débats à cette époque se souviennent de l’émotion intense ressentie par les opposants à la loi de protection des DRM, qui étaient alors insultés par l’industrie musicale dans des campagnes d’affichage qui paraissent aujourd’hui irréelles, et poursuivis en Justice. Il avait fallu que les ayants droits et le ministre Renaud Donnedieu de Vabres s’associent dans une mission commune pour monter une opération de lobbying inédite, et que l’UMP se mobilise sous les ordres pressants du futur président Nicolas Sarkozy, pour que la licence globale soit finalement rejetée le 7 mars 2006. Le rêve d’une solution pacifiée à la lutte contre le piratage et la rémunération des auteurs n’aura duré que trois mois.

Depuis, on connaît la suite. Le piratage n’a pas faibli, et les offres légales ne se sont développées qu’à travers des modèles économiques très difficiles à soutenir, qui obligent déjà certains à fermer leurs portes. Au lieu de la licence globale, le législateur a adopté la machine à envoyer des avertissements en masse qu’est l’Hadopi, sans que son impact se vérifie sur les ventes de musiques ou films en ligne.

Largement enterrée, y compris chez les députés socialistes qui l’avaient défendue, la licence globale n’est toutefois pas totalement oubliée. Preuve en est le rapport de la mission d’information sur les conditions d’emploi dans les métiers artistiques, remis il y a quelques jours sur le bureau de l’Assemblée Nationale. La mission rassemblait des personnalités aussi diverses que Marie-George Buffet (PC), Henri Gaino (UMP), Franck Riester (UMP), ou encore Patrick Bloche (PS).

Très complet, le rapport qu’ils ont adopté montre tout d’abord que la création artistique se porte bien en France, et même très bien, puisque « en 2008, 334 000 personnes déclaraient exercer à titre principal un métier artistique, soit une hausse de 94 % par rapport à 1990« . Tous les chiffres montrent que le nombre de professionnels de la création explose :

En revanche, il persiste l’éternel problème de la rémunération de ces créateurs.

« Une minorité perçoit des revenus très élevés tandis que la majorité déclare des revenus assez bas« , constate ainsi le rapporteur Jean-Patrick Gille (PS). Par exemple à la Sacem, sur 145 000 membres inscrits, seuls 3 000 touchent plus qu’un équivalent du SMIC. A la maison des artistes, le revenu médian annuel s’élevait à 14 334 euros en 2008.

« Le téléchargement légal remet en cause le modèle traditionnel des droits d’auteur »

Le rapport pointe donc une grande précarité des auteurs, qui serait renforcée par Internet. « Les auditions menées par la mission d’information ont mis en exergue le véritable défi que constitue, pour la rémunération des créateurs, ce que de nombreux intervenants ont qualifié de « culture de la gratuité »« , écrit ainsi Jean-Patrick Gille. « La numérisation croissante des œuvres et leur diffusion sur internet a été le principal facteur invoqué pour expliquer cette tendance inquiétante et pose, de manière pressante, la question de la rémunération du droit d’auteur et des droits voisins« .

Or la mission d’information n’accuse pas uniquement le piratage, mais également la non-viabilité de l’offre légale. « On observe une disproportion importante entre l’impact médiatique des œuvres diffusées sur internet et le chiffre d’affaires publicitaire réalisé par les sites de diffusion« , constate-t-elle. La Sacem a ainsi expliqué que la baisse des ventes de CD avaient fait baisser son chiffre d’affaires de 14 %, alors que le streaming et téléchargement légal ne représenteraient que 1 % de ses revenus.

« Le téléchargement légal – et à plus forte raison illégal – remet en cause le modèle traditionnel des droits d’auteur« , constate le rapport. « Il entraîne ainsi une captation de la valeur par de nouveaux acteurs, les fournisseurs d’accès à internet, les fabricants de supports – lecteurs MP3, téléphone portable, tablettes – et les moteurs de recherche« . Autant d’acteurs qui seraient amenés à contribuer à une éventuelle licence globale.

« Il n’appartient pas à la mission d’information de se pencher sur les impacts économiques ou juridiques du développement du numérique sur le droit des auteurs ou des titulaires de droits voisins, ni sur les mesures de régulation qu’appelle le développement de la diffusion des contenus sur internet. Pour autant, elle doit constater que le développement de la diffusion des contenus protégés sur internet est intervenu dans des conditions que le droit de propriété intellectuelle a eu du mal à accompagner« .

« Certaines auditions menées par la mission d’information commune ont conclu à des propositions visant à mieux garantir la rémunération de la diffusion des œuvres sur internet. Ainsi, la Fédération CFTC du spectacle s’est-elle déclarée favorable à un système de licence globale dont elle a estimé qu’il assurerait plus d’un milliard d’euros de revenus annuels si son montant était fixé à 6,5 euros par mois« , ajoute le rapport, qui ne veut pas marcher sur le domaine réservé de la mission Lescure mais livre tout de même un avis suffisamment explicite.

« En dépit de l’intérêt de telles propositions, votre rapporteur ne souhaite pas anticiper sur le débat qui suivra nécessairement les conclusions rendues par la mission présidée par M. Pierre Lescure. Tout au plus peut-il insister sur la nécessité de garantir une rémunération équitable des créateurs diffusés sur internet, ce qui pose la question essentielle de la redistribution de la valeur, et souligner l’atout que constitue la gestion collective des droits pour la défense des artistes auteurs et interprètes« .

Un appel du pied très clair.

Source : Numerama Auteur : Guillaume Champeau

 

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